Le syndrome de l’imposteur
Si le doute peut s’avérer un allié, il peut aussi être un voleur de confiance en soi! Attention…
On pourrait tout simplifier : tu cours, t’es un coureur, tu roules, t’es un cycliste. Ce type d’affirmation est vraie et juste…autant que de dire, tu fais un gâteau, t’es un pâtissier. Dis de même, c’est ennuyant hein? Poursuivons donc sur ce raisonnement apparemment élitiste; mettons que tu cours comme un boulanger fait du pain, que t’es donc un « vrai » coureur, mettons alors que comme vrai coureur tu t’inscris au marathon de Montréal (là encore, tu commences à comprendre que tu le trouves emmerdant mon raisonnement, hein?), ben, c’est pour le gagner, non? Ok, t’es un vrai coureur mais pas un vrai compétiteur? Je suis mêlé là…
C’est un peu à cause de toutes ces nuances que le syndrome de l’imposteur s’immisce aisément dans nos pensées. Règle générale, on s’en balance totalement des « appellations contrôlées » et on fait notre petite affaire avec beaucoup de bonheur, mais n’en demeure pas moins que l’être humain est ainsi fait; il se compare et une part de lui veut indéniablement, que ça lui plaise ou non, faire partie de la gang! Mon opinion? Tant que le syndrome de l’imposteur ne t’empêche pas de faire ton sport ni de participer à des compétitions, ben, l’affaire est ketchup! Mais ce n’est jamais aussi simple…
La culture du doute
Dans la vie comme au hockey (suis-je en train de citer une pub de Nestlé Quick?), on rencontre beaucoup ce syndrome également appelé le complexe de l’autodidacte. Pour moi qui vient du monde des arts, et bien ce syndrome, on en bouffe à tous les repas; c’est une partie de notre carburant. Les humoristes qui jouent, les comédiens qui animent, les sculpteurs qui peignent, les peintres qui font de la gravure, les romanciers qui écrivent de la poésie, les poètes qui écrivent du théâtre, les essayistes qui essayent…Bref, « en » culture, on cultive ça. L’affaire, c’est qu’en création, le doute est souvent fécond. Il pousse au questionnement, provoque l’introspection et des situations stimulantes, et fait prendre à l’artiste des nouveaux corridors de réflexions et de réflexes. Mais pour toi le sportif, ben ce syndrome peut davantage être contre-productif qu’autre chose.
Fausse modestie et véritable prétention
Si t’as lu « Tout est possible…vraiment? », t’auras compris que je crois qu’une dose adéquate de doute peut heureusement faire en sorte que tu ne t’inscrives pas trop tôt à des défis auxquels tu n’es pas prêt et que tu fasses au moins la préparation prescrite pour réussir, sans blessure, les objectifs de taille aussi séduisants qu’éprouvants que tu t’es fixés. Mais tu dois faire attention pour ne pas basculer de l’autre côté, du côté de « trop n’est jamais assez » pour montrer à ceux que t’admire tout croche que t’es pas (ou ne restera pas) un imposteur. Ok, c’est un peu de la psychologie à cinq sous, mais c’est un peu ça qui guette la victime du syndrome. Dans le merveilleux monde des médias sociaux, le sportif amateur (tant au sens noble qu’au sens banal du terme) lit les publications des membres de son club ou des sportifs de son entourage en oubliant qu’un grand nombre de ses motivants « partages » fraye entre fausse modestie et véritable prétention. Nos « amis » se battent peut-être eux aussi contre le satané syndrome, qui sait?
Toujours est-il que sur la toile, on trouve de tout : des Spiderman (bien sûr), des Ironman et des Batman. Mais toi, as-tu un don particulier, un historique extraordinaire ou la richesse de Bruce Wayne? Si tu souffres du syndrome, penses-y avant de t’entraîner 20 heures/semaine ou de t’acheter un Cervelo P5… Probablement que tu peux t’entraîner adéquatement et faire tes compétitions dans le plaisir sans te laisser influencer, voire miner, par les aventures à succès et sans acheter les jouets/équipements spectaculaires qu’on trouve à pleines pages sur les médias sociaux.
Le syndrome masqué
Le syndrome de l’imposteur est en quelque sorte un bouquet-garni d’anxiété et de manque de confiance en soi. Les psy, désolé de tourner les coins ronds, mais mes études en approche psychanalytiques du phénomène littéraire sont très loin (« lointes » disait ma mère), et mon bref passage comme « chercheur » en institution psychiatrique m’en a plus appris sur la vie privée de mes collègues étudiantes au deuxième cycle que sur la psychologie. Donc, ce bouquet-garni, dis-je, peut infuser dans notre boîte crânienne et dégager un parfum d’imposture dans tout notre être, ce qui, finalement, nous amène à nier tout notre mérite et tous nos succès. Ciao les médailles et les podiums et bonjour les « puis-je nager dans votre corridor même si je ne suis pas une machine comme vous autres ». Et ça, c’est quand l’imposteur ose venir nager avec du monde. Souvent, sa peur d’être démasquer le pousse à nager uniquement sur Facebook. Il n’y a que là qu’on voit qu’il y a une piscine dans sa vie. Facebook devient une de ses stratégies de défense. Facebook est à la fois son arme et son bourreau. L’imposteur peut en gaspiller de l’énergie et du temps pour avoir l’air de… Si t’as lu Kwaï? Ben oui; kwaï?, t’as vu qu’il y a tout une liste d’accessoires dont peut se prémunir le triathlète (je prends toujours lui en exemple parce que je le connais un peu et que c’est assez rare qu’il me fasse un procès), par exemple, pour l’aider à avoir l’air sérieux. Si le triathlète a les moyens financiers (ça arrive assez souvent, mettons), adieu le syndrome (du moins sur Facebook, car sur Sportstats c’est une autre affaire…)! Enfin…on ne s’éternisera pas là-dessus, mais c’est facile de faire des relations avec d’autres sports et d’autres domaines. Des « concours de potence », il y a en a partout, et l’image sert trop souvent de sauf-conduit. Combien de fois ai-je entendu dire « jamais je ne croirai qui ne sait pas rouler s’il a pris la peine d’acheter un vélo de $8 000 »… et pourtant. Mais maquiller son imposture par des accessoires, c’est inoffensif. Et si t’as les moyens, fais-toi plaisir tant que tu veux, on s’en fout. Mais où ça se corse, c’est que le syndrome, à la longue, ça peut faire souffrir. Je sais, je sais, tu n’avais pas vu ça de même. Tu voyais le syndrome comme une coquetterie. Mais non. Ça fait souffrir.
Les visages de la souffrance
Vous les avez vu ces faces de souffrance dans les marathons ou les Ironman? Je sais, tu penses que Charles force plus de la face que des jambes quand il court sinon il terminerait plus vite. Ça se peut. Moi je ne connais pas bien Charles, et je m’en sacre un peu de sa face. La souffrance dont je parle est celle, bien réelle, qui réside dans la tristesse de certains qui se sentent à l’écart. La souffrance dont je parle est aussi celle provoquée par le surentraînement (ou le burn-out dans d’autres secteurs). Ce genre de souffrance m’inquiète davantage que la souffrance physique liée à une épreuve. Cette dernière, je la « gère » mieux, ou, à tout le moins, je me sens mieux outillé pour y faire face.
Alors, oui, le syndrome de l’imposteur peut faire mal et mener à des affaires pas comiques comme le surentraînement. C’est fou, j’ai commencé à écrire sur le sujet en passant parler d’un sentiment d’imposture que tout le monde vivait à différents degrés et qui avait bien peu de conséquences (sujet léger s’il en est) pour finalement déterrer des affaires plus creuses…j’aurais dû faire mon article promis sur les éducatifs ou un duel Gatorade/Powerade. Enfin. Toujours est-il que le fait de consacrer trop de son temps et de son énergie à un sport par rapport à l’attention que cette discipline exige vraiment de vous pour arriver à bien faire les choses, et bien cela peut être un symptôme du syndrome de l’imposteur. La victime (souvent inconsciente) se vengera sur un énorme volume d’entraînement car elle ne croit pas à ses réelles capacités, et, au fond, elle la veut sa place (son podium, sa médaille, sa qualification, son acceptation ou whatever…). Résultat : surentraînement, déception, blessure…
Les effets pervers
Je t’ai perdu? Deux cas; Charline et Jacques. Tu vas les aimer, Charline et Jacques. Deux bonnes personnes qui n’ont jamais demandé à être le sujet d’un article. D’abord Charline (qui est plus intéressante que Charles et sa face qui force), triathlète très moyenne (d’après Sportstats qui ne fait pas toujours dans la dentelle) mais immensément dévouée. Elle ressemble à la plupart d’entre nous, peut-être un peu plus performante que la plupart d’entre nous, mais comme nous, elle a trop dépensé pour un trop beau vélo pour ses capacités, elle a payé cher en spécialistes (nutritionniste, ostéo, physio, plans d’entraînement et coaching privé) et ses proches sédentaires croient qu’elle est une machine qui fera les prochains olympiques même si elle est a 42 ans. Tu vois qu’elle nous ressemble? Mais à la différence de la plupart d’entre nous, Charline s’entraîne plus de 20 heures par semaine de manière publique (vive Facebook, Strava et Garmin Connect), et probablement 5, 6 heures de plus en cachette dans des sports périphériques bizarres qu’elle préfère taire au risque d’être excommuniée de la communauté des triathlètes sérieux.
Résultat : on a masqué ses trop nombreuses publications sur Facebook, on a tous remarqué que ses performances chutaient comme le Dow Jones sur des skis et surtout, qu’elle a basculé du côté sombre de la force, qu’elle est devenue parano (ok, elle l’était déjà un peu), qu’elle risque de perdre son emploi, qu’elle a perdu son chum, son chat, et qu’elle est en train de se perdre au beau milieu d’une passion qui n’annonçait pourtant que du beau. Charline voulait inconsciemment trop faire partie du troupeau. Ces actions sont maintenant des réactions. On ne croit plus trop à son sourire qui était si beau. Contrairement à Charles, elle sourit, mais elle sourit trop. Elle en fait trop. T’as lu L’effet de groupe? Et bien Charline est un produit de l’effet pervers du groupe. Au début, le fait d’adhérer à un club l’a transformée positivement, puis, petit à petit, elle a cessé de se respecter et de respecter son évolution et s’est mise à courir aux allures des autres, à courir aux blessures, à se comparer…Moi qui croit tant à l’esprit d’un club et à l’enthousiasme qui y règne, faut avouer que ça ne marche pas toujours… surtout si on est atteint du syndrome de l’imposteur pour vrai.
Jacques, quant à lui, est un dieu de la course. Il s’est qualifié pour Boston à de multiples reprises et il porte les bas de compression les plus flash en ville. Très brillant et stratégique dans ses choix de compétitions et sa compréhension de l’entraînement, il sait allier travail, famille et sport avec succès. C’est aussi un triathlète solide (Jacques m’a inspiré ‘Le triathlète est aussi un coureur vous savez?), mais c’est définitivement dans ses espadrilles qu’il se démarque lorsqu’on parle de sport. Personne ne pourrait croire qu’il pourrait être une victime du fameux syndrome, même pas lui, et pourtant. D’une manière coquette, il se sent bien sûr un peu comme un coureur quand il est avec des triathlètes et un peu comme un triathlète avec les coureurs, mais ça, ce sont surtout des excuses pour expliquer qu’il ne fait « que » 2h56 sur marathon et « que » 10h15 sur Ironman (on a les échecs qu’on peut…). Mais Jacques est victime du syndrome car il ne se compare pas aux petits trapus comme moi, non, lui, il se cale plutôt sur les pros qui eux, font ça à plein temps. Résultat : Jacques a eu une fracture de stress juste avant Boston cette année, il est devenu momentanément agressif (même avec son fils aîné alors que d’habitude, Jacques est le meilleur père qui soit), il a même pensé prendre de la dope de performance (juste 10 secondes…mais il y a pensé) et il n’est plus menstrué car son corps réagit (ok…je me trompe peut-être d’histoire sur ce point). Bref, surentraînement lié partiellement au méchant syndrome (c’est moi qui le dis, pas un professionnel de la santé mentale, donc, à prendre avec des pincettes). Le plus triste, Jacques sent qu’il a échoué alors qu’il a vraiment réussi sur beaucoup de points.
Tout ce texte n’est finalement qu’un préambule pour te demander d’arrêter de dire que tu souffres du syndrome de l’imposteur quand ce n’est pas vraiment ça que tu vis (d’autres en souffrent pour vrai; attention aux mots), et pour nous rappeler simplement à tous, moi le premier, de ne pas se prendre pour un autre, sauf la nuit dans nos rêves les plus fous. Un peu d’équilibre n’a jamais tué personne.
Bonne saison!