Battante Thérèse!
Le sais-tu que je t’ai reconnu? T’as commencé par dire « j’aime » à quelques-unes de nos photos en entraînement ou en compétition sur Facebook, et ensuite t’es devenu un membre silencieux de quelques forums de discussions auxquels mes amis et moi participions également. Tranquillement, tu faisais tes classes. T’inquiète, je ne te suis pas, pas plus que j’enquête sur toi. Seulement, je t’admire du coin de l’œil et observe tes progrès depuis que t’as joint mon club de triathlon. En fait, depuis avant ça. Depuis la fois où j’ai remarqué que tu roulais en même temps que nous au circuit Gilles-Villeneuve, et l’autre fois où tu nous avais aussi croisé en courant sur le mont Royal. Et je ne parle pas de la natation, car là, franchement, je ne me souviens pas d’être allé à la piscine sans t’apercevoir, souvent seul, parfois avec ta blonde qui semble te donner des trucs, et toujours dans le corridor de l’extrémité avec tous les accessoires nécessaires. Je t’ai remarqué parce qu’au début, tu portais un t-shirt pour nager et que c’est rare (je me demandais même si c’était permis). Je t’ai aussi remarqué parce que, t’as beau être discret, mais tu nous regardais tout le temps! D’une certaine manière, on te servait de modèle. L’affaire, c’est que c’est toi le modèle.
Ça t’étonne d’être un modèle? Attends un peu toi, tu ne sembles pas connaître tous mes complexes et ceux de ma gang de « crinqués ». Tu ne sais pas que lent de même (et oui, j’ai vu que tu nageais très lentement, désolé, mais ce n’est pas grave!), lent de même dis-je, je n’aurais jamais osé essayer le triathlon et que juste pour ça, t’as toute mon admiration? En fait, pour être tout à fait honnête, je dois dire que je mens un peu. La vérité, c’est que j’étais plus lent que toi à la natation lorsque je me suis inscrit à un club de triathlon, mais que j’étais trop fier-pète, trop niaiseux, pour me pointer aux entraînements du club. Ce n’est pas tant que j’avais peur de me dévoiler dans toute ma lenteur, mais plutôt que je craignais de ralentir tout le monde, et que je voulais éviter d’hyperventiler sur le bord de la piscine et d’avoir l’air d’un yak qui agonise loin de son Tibet natal. Maudit que je regrette, car si je m’étais entraîner avec le club, j’aurais mis bien moins d’années (oui : années!) avant de progresser un tantinet. À l’époque, je ne voulais pas voir qu’il y avait de la place pour tout le monde et pour tous les niveaux dans un club (lire « L’effet de groupe »). Enfin, on ne referra pas le passé, mais peut-être que le lecteur pourra éviter certaines erreurs…
T’es un modèle parce que tu fais tout ce que tu peux pour avancer dans l’eau et que depuis quelques mois, t’es passé de têtard souffreteux à crapet soleil. T’es pas encore une truite, encore moins un saumon, mais wow, ça s’améliore ton affaire. En passant, comme j’ai vu que tu lisais, prends donc le temps de lire « Le monde sur le flanc de la truite » de Robert Lalonde; rien à voir avec le sport, mais tout à voir avec les lunettes que l’on choisit de porter, avec le regard que l’on peut aiguiser au point de découvrir en soi, des paysages aussi émouvants qu’une ligne d’arrivée de marathon.
T’es un modèle parce que t’as osé commencer ta saison de triathlon avec un vélo de cyclotourisme en acier au milieu de toutes ces bébelles de carbone qui t’entouraient. Je confesse, bien sûr, je confesse, avoir été soulagé, voire touché, quand je t’ai vu changé de vélo…Pas pour les apparences (ton ancien vélo m’était plus sympathique), mais parce que je sais que malgré ton budget extrêmement serré de père d’un enfant lourdement handicapé, t’as trouvé le moyen de te faciliter la vie avec un vélo mieux adapté. Ça, c’est de la passion pour ton sport. Si je déteste la course à la consommation (les courses ordinaires coûtent déjà assez chères comme ça), faut avouer que le matériel spécifique, même s’il est de base, nous fait sauver beaucoup d’énergie. Tu l’as compris, même si tu te sens coupable chaque fois que tu dépenses pour autre chose que ta famille. Ta famille te remerciera un jour de penser aussi à toi. En fait ta tribu le fait probablement déjà, mais tu n’écoutes pas, sapristi. Alors, lis-moi au moins.
T’es un modèle car tu cours vite en chien. Tu crois que je suis ironique? Refile-moi tes cinquante livres en trop et on s’en reparlera de ma vitesse et de mon endurance! Tu ne le sais pas encore à quel point c’est plus dur pour toi que pour moi? Et en plus, tu viens toujours aux entraînements! Tu les fais tes intervalles! Chapeau. Faudrait que tu changes tes souliers cependant : ils sont finis! Je sais, tu penses que tu viens juste de les acheter, mais ça s’use, des souliers. Surtout à ton poids. Tu pourrais te faire mal…Enfin, t’es là, tu cours et tu m’impressionnes. À chaque fois qu’on passe à côté de toi, on entend une gazelle du peloton chuchoter; « lui, c’est un king, il ne lâche jamais », et c’est une des raisons pourquoi t’as l’admiration du club entier. Et là on ne parle pas de ta blonde, elle, elle pourrait te faire ombrage et aujourd’hui, c’est ton jour, et c’est aussi grâce à toi si on connaît cette autre battante qui, à la base, t’as peut-être suivie pour être certaine qu’on ne te maltraiterait pas. Un ange.
T’es un modèle parce que t’as des objectifs très difficiles, mais réalistes. Au début je pensais le contraire (c’est un peu aussi pour toi, d’ailleurs, que j’ai écrit « Tout est possible…vraiment? »), mais je me rends compte que t’es tellement assidu, que tu mets les heures et que t’es en train de construire une progression impressionnante. Ok, t’as pris l’ascenseur quelques fois, pris quelques raccourcis que je ne trouve pas souhaitables, mais finalement, tu respectes la discipline et t’es beau à voir aller. Vraiment beau. Sois fier.
En fait, prends-le pas mal, mais tu ressembles à ma tante Thérèse (paix à son âme) que j’adorais. Ma tante Thérèse n’avait qu’un œil de fonctionnel (elle avait perdu l’autre au jeu de bolo, je crois, jouet de l’époque où les enfants ne portait pas de casque protecteur pour descendre l’escalier), mais ça ne l’empêchait pas de marcher plus vite que tout le monde, de réparer l’électricité ou la plomberie elle-même en même temps qu’elle brassait la sauce à spaghetti, ça ne l’empêchait pas d’élever des enfants, mais surtout, ça ne l’empêchait pas de prendre son vélo au quotidien malgré son handicap. C’est vrai qu’il n’y avait pas beaucoup de « machines » qui passaient dans son rang de Scott-Jonction, mais être capable de rouler avec un seul œil, c’est de ne pas fusiller du regard l’angle déjà mort. C’est de regarder en avant, c’est de se concentrer sur ce qu’il y a de beau. C’est être en vie.
Maintenant que tu sais que tu es un modèle, ne t’enfle pas la tête. T’as vu Michaël dans le club? Lui, et bien, il est sourd. Mais il est réellement « one of the boys » malgré ses autres défis. Il est tellement « one of the boys » que je viens de t’apprendre qu’il est sourd. C’est fou, hein? Alors parfois, au lieu de nous écouter se vanter de nos chronos, apparemment sans égards pour ceux et celles qui peinent à finir leur course, on devrait plutôt « mieux » échanger, mieux se connaître. On se ferait des nouveaux modèles! Mais il ne faut pas s’en vouloir, ce qu’on connaît de nous et ce qui nous rassemble, et bien c’est le sport. « Il faut toujours voir au-delà, prendre tout pour une fenêtre » disait le poète Roland Giguère, alors prenons le sport pour une fenêtre, prenons même notre handicap pour une fenêtre, et voyons au-delà!