Le maudit manteau du marathon
Il est là, suspendu au crochet près de la porte d’entrée. Je ne le revêts pas trop souvent au cas où ça donnerait l’idée à quelqu’un de me parler de ce marathon précis qu’il symbolise. Pas le marathon en tant que tel, ou l’organisation qui donnait le fameux bon et beau manteau (malgré cette approximative traduction, « finissant », en grosse lettres dessus), mais le mien de marathon.
L’affaire c’est que, j’ai fait ce maudit marathon tout juste 30 jours après avoir fait un maudit Ironman. Oui, oui, 30 jours. Ben quoi? Faut essayer des affaires parfois, et je voudrais signaler que ça bien été pour Philippe et Hugo qui ont fait la même niaiserie que moi. Mais c’est un peu ça l’affaire, je ne suis ni Philippe ni Hugo, qui, en plus d’être de biens meilleurs athlètes que moi, ils ont l’avantage d’être plus jeunes. Cela dit, je suis plus beau qu’eux. Et eux, et bien ils pissent dans leur wetsuit.
L’âge, je n’y crois pas trop (c’est une invention de ceux qui vendent des cadeaux), c’est difficile à retenir (« ça change à chaque année » disait la cousine Germaine) et ça n’a jamais trop joué sur mes capacités globales (même si j’ai 3 paires de lunettes et que je n’arrive toujours à pas à lire mon entraînement de natation car mes bras sont trop courts). Cependant, je dois avouer que l’âge n’est pas qu’une entrée dans l’ère de l’anonymat (face à la caissière cute du IGA ou du beau chauffeur d’autobus, selon où l’on crèche), non, l’âge en sport, bien c’est beaucoup ta capacité à gérer la récupération. En d’autres mots, se remettre d’un Ironman prend plus de temps à 52 ans qu’à 32. Le savoir est une chose, l’assumer en est une autre. Mais je te l’assure, grâce au fait que notre âge est inscrit sur le mollet lors des triathlons (Pourquoi? Les podiums pour les amateurs sont par groupe d’âge, et penses-y, quand on te dépasse, t’aime savoir si tu dois te grouiller davantage ou laisser la jeunesse se sauver!), je vois que l’être humain bien entraîné peut fournir beaucoup et longtemps. Mais ne demande pas aux plus âgés d’aller « courir » les magasins le lendemain d’une course ou de faire une autre compétition le week-end suivant, le spa les attirera davantage.
Donc, si on revient au maudit marathon, je dois dire que je suis encore perplexe devant lui. Ce n’est pas tant une affaire de chrono (quoique cet aspect-là me hante un peu aussi, pour être bien honnête), qu’une affaire de dépassement. Je ne parle pas du dépassement de mes amis du club de course Jorge et Sébastien (accompagné d’un Frédéric pour appuyé l’expression jamais 2 sans 3), car eux, ils n’ont vraiment rien compris au concept; je voulais qu’ils se dépassent eux-mêmes, pas qu’ils me dépassent (enfin!).
Le fait de se dépasser est pour moi, une des choses les plus importantes. Ça passe avant la performance, avant les statistiques, avant les allures de contemplation (ou de complaisance…), et surtout avant le bonheur de terminer une course quand finalement, tu l’as faite seulement pour le maudit manteau. « Je sens que je suis assis au tribunal des valeurs » dit le poète François Charron ; entendons-nous, je trouve que presque toutes les raisons peuvent être bonnes pour faire un marathon (même celles avec lesquelles je ne suis pas d’accord mais qui ne me regardent pas deux secondes), mais pas celle de le faire pour obtenir le maudit manteau. Ma blonde et moi, ben…on a tous les deux fait ça; un marathon pour un maudit manteau gratuit. Pas fort. On n’était pas dans le dépassement de soi, mais bien dans l’obstination avec soi-même.
Il m’en est arrivé des choses pendant cette course. Il y avait comme un nœud de cochonneries dans ma tête quand je me suis mis à penser, après avoir réussi le 21,1km à fière allure, que j’allais terminer le reste de la course comme un king. Pour bien se dépasser, il faut se respecter, et là, on pouvait surtout dire que ma tête et mon corps formaient plus un couple à broil qu’un exemple à suivre… Tu sais, sur un marathon, tu vis les hauts et les bas de l’hôtesse de l’air; ton corps, poussé à bout, t’envoie de drôles de signaux. Un manque de sucre et les idées noires se précipitent avec les grandes questions (pour-qui-pourquoi-je-fais-ça et cie). Tu te prends pour un Kenyan et tu penses que tu vas gagner? Ça y est, t’es dans la m et le fameux mur est proche. Ben moi, je me suis pris pour un Kenyan cette fois-là. Je suivais Éric, une jeune recrue de mon club de triathlon. Éric ne le sait peut-être pas (je m’étais déguisé pour être certain que personne ne me reconnaisse; pas difficile, je n’avais qu’à ne pas mettre les couleurs du club), mais je lui collais aux fesses jusqu’au 33è km, et c’est là que je me suis mis à courir moins vite que les bénévoles marchaient. Pour un vieux routier comme moi, mal « gérer » (c’est fou à quel point le langage administratif envahit tout) une course ainsi, ben, ça fait dur.
Toujours est-il que si mon marathon ne passera pas à l’histoire pour mes performances, ma fierté d’avoir accompagné Sébastien dans son entraînement pour son premier marathon qu’il a bien réussi, elle, elle restera gravée dans ma mémoire. Même chose pour le fait d’avoir passé le fil pratiquement en même temps que Jorge. L’année d’avant, j’avais d’ailleurs eu le bonheur de courir les derniers mètres (les avant-derniers en fait; les vrais derniers sont pour les vrais héros et on se tasse avant le fil) avec lui pour son premier et ça non plus, je n’oublierai pas. Finalement, le maudit manteau me rappelle aussi les belles affaires qui viennent avec la course; on « perd » une course mais on gagne des mois d’entraînement et une santé enviable (à moins de basculer du côté sombre de la force comme je l’ai déjà dit). Soyons fiers de nos accomplissements. Vraiment. Et faire un marathon, ce n’est pas rien.
Je n’ai pas fait des tonnes d’erreur lors du marathon du maudit manteau, mais en gros, j’en ai fait une assez importante : je me suis surestimé. J’étais pourtant partie en toute modestie avec des objectifs réalistes (c’était quand même mon quatrième), mais en cours de route, j’ai malheureusement changé de plan comme un bleu…Je me suis surestimé doublement; j’ai d’abord cru (pas vraiment cru mais c’est tout comme…) que je pouvais aligner un Ironman et un marathon (donc deux marathons) à l’intérieur d’un mois avec ma forme d’alors, et ensuite, ben, j’ai calqué le rythme des autres. Moralité? Les objectifs réalistes font moins mal au corps et à l’orgueil! Surtout, les objectifs réalistes nous évitent bien des dangers (blessures, surentraînement, syndrome de l’imposteur, déception, etc) et favorisent la longévité, l’entretien sain de notre passion. Et oui, une passion ça s’entretient. Tu mets la meilleure huile dans ta voiture? Prends donc tes meilleures lunettes pour élaborer ton calendrier des compétitions, car finalement, comme avec une meilleure huile, tu iras plus loin, mieux et plus longtemps.
Je sais, ce n’est pas toujours simple de bien se positionner, de trouver comment être tiré vers le haut mais par le bon câble… il faut bien s’entourer. C’est précieux un ami, un coach ou un partenaire d’entraînement à la fois capable de « replacer » tes objectifs et en même temps, capable de te pousser au dépassement. Ça me rappelle mes parents; mon père, né en 1923, inconsciemment, a tout fait pour que ma mère, née en 1924, ne prenne finalement jamais le volant de la voiture! C’était un bon Jack mon père, mais inconsciemment, il entretenait une dépendance. Autre temps, autres mœurs direz-vous, mais quand même, ça ressemble à certains coureurs qui inconsciemment, acceptent mal que leur partenaire les dépasse. Enfin, Jorge et Sébastien, le maudit manteau et moi, nous, sur ce point, on s’est épaulé vers la bonne direction et je suis pas mal fier de nous!