Livraison gratuite 99$+ / Ramassage en magasin

  • Compte
  • français fr
    • français fr
    • English en

Homme de fer, moral d'acier ?

Homme de fer, moral d'acier ?

Stéphane Despatie

07-07-2018

Homme de fer, moral d'acier ?

…ou les contre-coups d’un gros défi sur l’équilibre mental

Planète Tri

Le triathlète est une drôle de bébitte; sitôt une course terminée, il surveille déjà le moment où les inscriptions ouvrent pour cette même course l’an prochain.

Il veut prendre sa revanche, revivre la fête, oublier ou revisiter les souffrances? Tout ça et bien plus.

C’est que les périodes d’inscriptions arrivent bien vite après la course et ce, à un moment où le triathlète vit le blues d’après-course, un moment de faiblesse où il est un peu perdu après avoir passé trop de temps à orienter sa vie vers juste une affaire.

Ok, il n’a pas oublié le bébé dans l’auto, mais il a peut-être laissé son lunch sur le comptoir 3 fois ces derniers temps, il n’écoutait peut-être plus aussi bien ses collègues aux réunions plattes du mercredi matin, comme il a peut-être oublié son cellulaire dans la poche de son trisuit avant de plonger.

D’ailleurs, il ne faudra pas oublier qu’il doit être devant son ordi (maintenant que son téléphone est au fond du lac…) à midi lundi prochain s’il ne veut pas manquer les inscriptions qui s’envolent en 12 minutes… Bref, il est ailleurs.Il est sur la planète Tri.

L’affaire, c’est que les satanées inscriptions arrivent souvent plus vite que le temps de réflexions essentiel à tout bon choix.
Peut-être que tu n’es pas obligé d’embarquer dans cette dynamique, hein? Et si les courses dont les inscriptions partent vite sont importantes pour toi; peut-être que la réflexion souhaitable peut s’amorcer longtemps d’avance? Genre : si j’atteins tel objectif et tel autre (de grâce, pas juste des objectifs de chrono…), si je surpasse ma peur des côtes, des vagues ou je ne sais quoi, si j’arrive à me dépasser en général, ben, je me réinscrirai ou je m’attaquerai à tel autre défi. Non? Bref, un peu de planification n’a jamais fait de tort quand notre santé et notre portefeuille entrent en jeu.
D’ailleurs, tu le sais que lorsque les inscriptions d’une course sont complètes, ben, ça te permet d’en découvrir une autre ailleurs qui n’est pas si mal non plus, hein?

Moi-Moi City

Bon, la majorité de ta gagne d’amis s’étaient inscrits à des grosses compétitions en ce début de saison, et toi, ben t’avais fait pareil mais en pire (ou en mieux, selon l’angle adopté); toi, t’avais choisi une distance plus grande que celles auxquelles tu étais habitué, et, par-dessus le marché, tu visais une allure un tantinet mieux (pas mal mieux même) que d’habitude.

Et même si, paradoxalement, t’es pas très compétitif, tu l’es quand même un peu. En d’autres mots, tu faisais la course pour toi, bien sûr, mais ton punk intérieur te hurlait dessus de ne pas finir après Brigitte, hein? Tu l’aimes Brigitte, mais, tsé, tu la préfères derrière toi. C’est de même. C’est quand même une course. Et une course, c’est une course disait l’ours.

L’ours, c’est le surnom de l’homme-tourbe (ben, ben poilu) avec des lunettes fumées et le polo orange (laid, le polo) qui tenait le fusil pour donner le départ.
Il est plus gros que toi et moi tapés ensemble, mais il incarne à lui seul l’esprit de compétition.
C’est de même; il est dans l’organisation et il est sérieux. Assez du moins pour te stresser avec son coup de feu et te faire partir trop vite pour tes moyens à la natation. C’est à cause de lui (il a le dos large) si t’as passé sur le corps de deux ou trois participants pendant les premiers mètres et tiré sur la jambe du maudit brasseux à seulement 200 mètres du départ.
Une course, c’est une course disait l’ours et pars pas trop vite disait Brigitte (qui rêvait tout de même de te dépasser). Mais t’as beau te repasser le fil de toute la course en tête; t’était en course même si t’étais pas en tête. C’est de même. T’avais pas tellement besoin du conseil de l’ours qui t’avais aussi dit d’oublier tous tes amis une fois parti, car, en course, t’es à Moi-moi City (pour ceux qui sont faibles en cartographie de l’ego, Moi-Moi City est l’épicentre de la planète Tri).

D’ailleurs, quand tu y repense bien, t’étais déjà rendu à Moi-moi City avant le départ. Et depuis un certain temps d’ailleurs. T’en fais pas, c’est normal. C’est un des dommages collatéraux des défis sportifs. On ramène pas mal d’affaires à nous, on se compare, on doute, et on peut même être franchement désagréable. C’est pas le nerf de la guerre, mais bien les nerfs de la guerre. On est stressé et on garroche ça un petit peu sur les gens autour de nous. Ah, on n’est pas obligé d’agir ainsi, mais ça nous guette tous, faut se méfier. Mais avant de s’inscrire à une autre course, je pense que ce n’est pas mauvais de se rappeler qu’on est déjà allé à Moi-Moi City, et que la prochaine fois, on ne fera pas de détour et on s’arrangera pour éviter cet état qui fait monter le ton sitôt la frontière franchie. Enfin.

L’affaire, c’est qu’une fois la course terminée, t’es encore à Moi-moi City. Oui, oui. Moi-moi sur la photo à la sortie de natation, Moi-moi sur le vélo, Moi-moi sur la course, Moi-moi sur le fil d’arrivée, Moi-moi sur Sportstats, Moi-moi avec mon t-shirt de finisher…C’est bien de vivre ça. Vraiment.
Le nuage coûte assez cher, c’est bien d’en profiter et de rester dessus quelques-temps, mais à un moment donné, reviens sur Terre. Tes proches te remercieront (et si tu veux qu’ils t’encouragent encore au lieu de tenter de te dissuader de t’inscrire une autre fois…).
En fait, avant de courir t’inscrire, pense aussi à qui tu es pour les gens qui t’entourent. Un modèle c’est bien, un modèle agréable, c’est mieux. Ce n’est pas pour te faire la morale, c’est pour s’assurer de bien faire les choses. En fait, Brigitte m’a déjà dit que tu faisais bien les choses; c’est donc peut-être plus à moi que je parle. Enfin.

Bref, revenir d’un défi de taille, c’est revenir de loin. Et lorsqu’on descend de son nuage, parfois on trébuche. Les repères du quotidien sont égarés et on doit replacer quelques affaires si on ne veut pas trop s’enfarger.

Quelqu’un de bien entraîné passe des heures, des jours, des semaines, des mois ou des années à bien structurer ses affaires pour réussir un défi sportif de taille, mais qu’en est-il de l’après-course? S’y est-il bien préparé?

Encore des listes, toujours des listes, rien que des listes

Je t’ai déjà dit que je n’aimais pas les checked lists, hein? Si d’entrée de jeu, je ne crois pas qu’on doive être parent, ou avoir fait un marathon ou écrit un roman pour être heureux (j’ai d’ailleurs tout fait ça d’après mes vieux agendas que je garde précieusement), je dois dire que les belles pensées et les listes que l’on retrouve dans les livres de type Eat, Pray, Love me tapent littéralement sur les nerfs.

Question de goûts littéraires, si tu te doutes bien que je ne lis pas que les Saintes écritures, je dois dire que je préfère Annie Ernaux ou Louis Hamelin à Elizabeth Gilbert; enfin… Mon opinion sur les listes en général est sans intérêt (perso, je t’en parlerais quand même des heures selon tes tarifs) mais elle mérite peut-être qu’on s’y attarde lorsqu’il s’agit de checked-lists concernant le sport…

Humblement (comme disent bien des prétentieux), je trouve que les checked-lists peuvent te faire mal quand il s’agit de défis sportifs, tant physiquement que moralement. Les fameuses listes peuvent te faire opter pour une course pour laquelle tu n’es pas encore prêt (et pour laquelle 1 an de préparation ne suffira pas vraiment), une course qui ne te ressemble pas et qui ne rassemble pas tes forces du moment.
Et si, à la limite, on peut prendre bien des raccourcis dans la préparation et « réussir » (c’est toujours très relatif cette expression) la majorité des défis, c’est moralement et mentalement que les séquelles peuvent aussi être importantes.
J’en ai déjà parlé, je sais. Mais ça me tient à cœur.

Durer, pas cocher

Combien de triathlètes, pour ne citer qu’un exemple, n’ont pratiquement plus fait de triathlon après avoir fait un 140.6? Pour être un homme de fer (ou une femme évidemment; l’appellation Ironman nous fait dire des affaires…), ça prend un moral d’acier.

Premièrement, ça prend toute une détermination pendant la préparation, mais aussi pendant la course car il faut s’en tenir à ses « chiffres », pas à ceux du voisin. Ce qui veut dire qu’on doit respecter son plan, ses watts, sa vitesse, ses allures, ses quantités de nourriture et de liquide, et ça, ce n’est pas simple. Ça prend tout une concentration pour rester dans sa zone de watts quand un frame de chat, par exemple, nous dépasse à vélo.

Mais c’est le moral de l’après-course qui m’intéresse davantage, surtout si le triathlète s’était mis une pression de l’enfer pour bien performer ou pour finir. Oui, finir. Car tu sais, il y a toutes sortes de pressions et de snobisme (j’y reviendrai un jour car ça mérite un blogue entier); il y a des gens pas nécessairement très gentils qui ne connaissent pas nécessairement ton historique et qui n’espèrent pas nécessairement que tu finisses ta course.
Le triathlète vit avec ça, et ça ne fait pas toujours un bon chemin (on parle autant de bonheur que de potentiel de blessures ici, lire Le syndrome de l’imposteur).
Bref, je reviendrai sur cet aspect un jour, mais un fait demeure; la préparation d’un gros défi prend beaucoup de place, et après, ben, il y a comme un trou… et je te suggère de ne pas le remplir trop rapidement par une autre inscription à moins qu’elle ne soit déjà bien planifiée.

Bref, si ce n’est pas toujours simple de bien contrôler la pression que l’on se donne (on ne veut pas décevoir nos proches qui ont fait des sacrifices avec nous, on veut être à la hauteur des athlètes qu’on entraîne ou qui s’entraînent avec nous, on ne veut pas décevoir ceux qui se sont déplacés, etc.), ben au moins, on peut préparer l’après-course, avoir un plan sinon une idée de vers où on s’en va pour le reste de la saison, pour l’an prochain et plus…

Si l’important pour toi est de durer, ben, évite de cocher des listes et prépare tes affaires. T’as suivi un plan et fait une période d’affûtage? Alors continue à structurer les choses; vois comment reprendre l’entraînement après le jour J, et vois comment être heureux sans partir en peur avec des ambitions de malade. La planète Tri est magnifique, mais ne traîne pas trop à Moi-Moi City. 😊

Bonne planification!